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Chapitre 1 : La missive

- Ah ! Mon cher LODEN ! Comme je suis content de vous voir !

L’Homme se leva d’un seul bond de son siège de bois sculpté pour accueillir son hôte et lui secoua énergiquement la main. Puis il passa ses doigts dans ses épaisses moustaches, l’air soudain préoccupé.

- Vous pouvez travailler pour moi ?

Son interlocuteur était un jeune elfe de moyenne stature aux cheveux en bataille. Il portait à la taille une large ceinture de cuir gravé à laquelle était attaché un fourreau vide. Il balaya du regard la pièce sans prêter attention au gros bonhomme assis derrière sa table de travail  puis déclara.

- Les affaires marchent plutôt bien…

- C’est un travail très bien payé. Une mission très importante et …secrète.

- Pourquoi faire appel à moi ?

- Vous êtes mon meilleur élément.

- Je croyais être le second. ODERZAK serait-il mort ? dit-il en esquissant un sourire.

- Non, non… Il est déjà en mission dans le Nord et ne reviendra que dans 4 jours.

- Vous pourriez attendre ?

- Pas pour cette missive. Bon, vous acceptez ou bien il faut que je me mette à genoux, dit l’homme, visiblement impatient.

- De quoi s’agit-il et combien est-ce payé ?

- Cela vous rapportera 100 billes d’ambre…

- …C’est tout ! s’exclama l’elfe visiblement stupéfait. Je ne suis pas intéressé.

L’autre se leva et passa sa main sur son crâne presque chauve. Il se dirigea ensuite vers un placard situé dans le coin le plus sombre de la pièce, sortit une clé argentée de sa poche et ouvrit le tiroir central du meuble pour en sortir un petit sac avec une précaution extrême. Puis, il le secoua légèrement.

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Aussitôt, LODEN poussa un hoquet de surprise.

- De l’ambre « gris ».

Vous avez l’oreille fine mon ami. Je tiens ici la moitié de la somme : 50 billes. J’espère que cela vous fera revenir sur votre décision

L’elfe fronça les sourcils. 50 billes d’ambre gris, c’était l’équivalent de 5000 billes d’ambre rouge ; de quoi vivre tranquille pendant un bon moment. Il devait donc s’agir d’une missive royale et donc une mission à haut risque. LODEN était de plus en plus intrigué. Cela faisait une dizaine d’années qu’il travaillait comme messager pour MALDAL & COPOL, et jamais il n’avait eu de mission de cette importance.

Cette société de LIL-HALPEH était très familiale : 6 messagers en tout et pour tout. LODEN n’y travaillait que de façon temporaire, lorsque sa bourse prenait une légèreté inquiétante. Il préférait partir à l’aventure que rester toute sa vie au service d’une entreprise.

- Alors ? s’impatienta MALDAL

Le jeune elfe releva alors la tête, comme sortit d’une intense réflexion et demanda :

- Qui est le destinataire ?

Désolé, je ne peux rien vous dire tant que vous n’avez pas signé le contrat, répondit l’homme en lui tendant une feuille roussie frappée du sceau royal de MIRIDOL.

LODEN trempa son pouce dans le pot de résine placé sur le bureau en face de lui et l’appliqua sur le papier afin d’y laisser l’empreinte de son doigt. MALDAL poussa un soupir de soulagement puis sortit de la poche de sa veste une enveloppe marquée d’un sceau rouge. L’elfe pris la missive d’un air perplexe puis porta un regard interrogateur vers son interlocuteur.

Je ne connais pas le destinataire dit ce dernier. En fait, il y a un relais et une clé. Le relais doit s’effectuer à MENEZ BURT, à l’auberge du lac doré.  La clé : « Le poisson doit être bien frit ».

- Ridicule !

- Désolé… Mais s’il vous plaît LODEN, soyez prudent. C’est la première mission royale. Si vous réussissez, ce sera l’apogée de ma carrière. Cependant, j’ai comme un pressentiment. Si le Roi a fait appel à une petite société, cela doit être pour des raisons de discrétion… Enfin , vous comprenez... Je voudrais donc que vous partiez avec ON-AMAZ, c’est une jeune recrue, mais un spécialiste du pilotage furtif.

- Je travaille toujours seul.

- Vous avez signé le contrat LODEN. Il est écrit « Le porteur sera accompagné jusqu’à ce que le relais soit effectué ».

- L’elfe haussa les épaules et saisit le contrat pour le lire en détail. Il devrait donc partir immédiatement, accompagné d’un pilote, n’ouvrir en aucun cas la lettre, et tuer toute personne qui chercherait à s’en emparer. D’autre part, il était l’unique porteur autorisé. Passé le délai de 5 jours, la lettre devait être détruite. Décidément, on faisait bien des mystères.

- Bien, envoyez-moi votre pilote à la piste d’envol… Est ce que le contrat m’autorise à prendre quelques provisions avant de partir ? déclara LODEN sur un ton ironique.

- AMAZ est un bon garçon, vous verrez. Bonne chance mon ami ! Soyez prudent !

* * * * * *

Quand LODEN sortit du bureau postal, le soleil était encore haut dans le ciel. Au loin, une mer de nuages masquait l’horizon, laissant supposer que la soirée serait orageuse. A cette heure de la journée, la bourgade était en pleine effervescence.

Quoique de petite taille, LIL-HALEPH était un carrefour commercial des Terres de l’Ouest assez important. Située au bord de l’un des grands fleuves et non loin des grandes cités naines de KAREK DANOR, cette ville constituait une étape obligée pour toutes les marchandises en transit vers le Sud.

LODEN se dirigea rapidement vers l’Est des remparts afin d’aller récupérer les affaires qu’il y avait laissées le matin même. Chance ou non, il n’aurait su le dire, mais en arrivant à l’aube, il était loin de s’imaginer qu’il reprendrait la route quelques heures après.

En effet, à peine avait-il franchi la porte Nord, que le gardien en chef l’interpellait et lui demandait d’aller pointer chez MANDAL. Comme il n’avait plus un sou en poche, même pour payer l’auberge, il s’exécuta rapidement et il disposait maintenant d’une bonne somme... et d’un fardeau.

Arrivé sur le bord des remparts, il décida de continuer sa route en passant par le chemin de ronde afin d’y glaner quelques nouvelles du pays auprès des gardes. Il grimpa 4 à 4 la cinquantaine de marches qui le séparait des hauteurs et se retrouva face à une étendue immense, scindée en deux par un large court d’eau sinueux. De part et d’autre du fleuve étaient dressées de grosses colonnes de pierres sculptées, véritables forteresses gardiennes des rives contre les pirates.

LODEN tourna alors son regard vers l’Ouest. Au loin s’élevait une légère fumée, ou plutôt un nuage de poussière lui sembla-t-il. Il se concentra alors afin que ses yeux, dont la portée était dix fois supérieure à celle des hommes, puisse lui indiquer quel type de convoi pouvait faire un tel effet. Il sentit alors quelqu’un s’approcher derrière lui. LODEN se raidit. Le bruit de cliquetis d’une armure lui indiquait qu’il s’agissait d’un soldat. L’elfe se détendit quand l’homme le héla.

- Sataï LODEN ! dit l’homme en levant la main en signe amical.

- Bonjour GIREZ, comment allez vous !

- Fort bien merci, et vous même, dit le soldat dont le visage était illuminé par un large sourire. Je me marie à la Lune bleue. C’est vous- même qui m’avait dit que les elfes le faisait à cette période.

- Félicitations ! Vous êtes encore un des rares à suivre mes conseils... Donnez moi des nouvelles du pays, voulez-vous ?

- En fait, il s’est passé pas mal de choses depuis la dernière fois. Il y a comme une tension sur la grande route du Sud. On pense qu’une bande de pillards bien organisée fait payer des droits de passage. Mais les nains refusent ce genre de transaction et constituent des escortes de plus en plus importantes... Euh ! excusez-moi, mais pourriez-vous me dire ce qu’est ce nuage au loin. On dirait une troupe en armes, mais on ne nous a rien annoncé au poste du guet.

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LODEN dirigea à nouveau son regard vers l’Ouest, mis sa main en visière et concentra son attention sur l’horizon. Il s’agissait bien d’une troupe. Au moins mille soldats nains en armures rouges et dont les boucliers brillaient comme des miroirs au soleil. Sur leurs étendards était dessinée une flamme noire dans un cercle doré.  Loden connaissait cet emblême : la signature des grandes colonies POND-AREN, les gardiens des routes souterraines vers l’Ouest et la Terre du Sud.

Le soldat était stupéfait.  Il bafouilla quelques mots que Loden prit pour des remerciements  et s’éloigna en courant vers le poste de garde. Il faut reconnaître que les habitants de LIL-HALEPH avaient du souci à se faire s’ils voulaient loger et nourrir cette petite armée cette nuit. Les routes devaient être bien mal fréquentées pour qu’aucun des messagers ne soit arrivé.

Plus surprenant, que signifiait cette troupe si bien armée alors qu’aucune guerre n’était déclarée ? En tout cas, il y aurait une bouche de moins à nourrir  ce soir puisque lui devait partir avant le crépuscule. Il reprit donc sa promenade le long du chemin de ronde et redescendit au niveau de la porte Sud.

C’était une entrée en arc, toute de larges pierres lisses sur plus de 20 mètres de hauteur, encadrée par deux tours cylindriques. Depuis cette place, on pouvait bien mesurer l’épaisseur de la muraille : 2 chevaux l’un derrière l’autre s’y seraient tenus sans problème. LIL-HALEPH avait tout d’une mini place forte, d’autant que 4 lourdes portes de métal forgé assuraient un bouclage parfait du rempart.

LODEN continua son chemin à travers la rue principale sans prêter attention à l’agitation générale. La première chose à faire était de changer l’ambre gris contre du rouge, sans quoi, il ne pourrait rien acheter et risquait de se faire agresser par quelques voleurs bien renseignés. Il rentra donc dans un bureau de change où un vieillard l’accueillit non sans lui jeter un regard méfiant .

Il est vrai qu’il avait tout du parfait vagabond, avec son vieux sac à dos et ses habits crottés. Cependant, le fait qu’il soit de race elfique inspirait toujours un certain respect. Il changea donc une petite partie de sa commission et décida d’acheter de la nourriture pour le voyage.

De nombreux soldats s’affairaient à transporter les vivres qu’ils avaient réquisitionnés et LODEN dut passer chez cinq marchands différents pour obtenir tous les vivres qu’il comptait emporter. Il se dirigeait vers l’auberge pour y récupérer les quelques affaires qu’il avait laissées en consigne quand un jeune garçon d’une quinzaine d’années, à la démarche sûre, l’interpella.

- ON-AMAZ je présume, pensa l’elfe en se tournant vers l’adolescent. Ce dernier avait des cheveux sombres et bouclés qui lui tombaient sur les épaules, un  visage à la noblesse sévère des Hommes de l’Ouest-ENA et une stature déjà imposante pour son âge.

- Vous êtes LODEN je suppose... commença-t-il.

-... Exact. Puisque vous m’accompagnez jusqu’au relais, l’interrompit l’elfe, mettons les choses au point. J’ai l’habitude de travailler seul et je n’ai pas envie de m’encombrer avec un débutant. Par conséquent, montrez moi que vous êtes autonome. Nous partons dans une heure, chacun s’occupe de ses affaires. A toute à l’heure.

Sur ces quelques mots, il s’éloigna à grand pas pour se fondre dans la foule comme seuls les voleurs savent le faire. Le jeune garçon ne put s’empêcher de pousser un soupir de dépit. La première prise de contact n’était pas vraiment une réussite mais Loden avait la réputation d’un solitaire... AMAZ décida donc de suivre ses conseils à la lettre en attendant qu’une nouvelle occasion se présente. Après tout, il ne pourrait pas l’ignorer éternellement.

A peine, avait-il repris possession de ses affaires que Loden se dirigea vers le promontoire d’envol. Il s’agissait généralement de la plus haute tour des cités, au dessus desquels étaient aménagées des perchoirs pour les oiseaux géants. Ceux-ci n’assuraient que le transport de personnes, moyennant finances, bien entendu. La majorité d’entre eux étaient de la race des aigles, mais on pouvait y trouver également des condors ou des dragons de petite taille.

Quoiqu’assez onéreux, ce moyen de locomotion était sûr et rapide, c’est pourquoi les messagers y avaient recours pour les missions sur grandes distances.

Sur le promontoire régnait la même agitation que dans les rues. En fait, l’arrivée de cette troupe de nains avait alimenté les conversations et les messagers ne cessaient d’être harcelés par des curieux désirant des nouvelles de POND-AREN. Les spéculations allaient bon train et Loden profita de tout ce brouhaha pour se glisser discrètement vers les box, sortes de niches aménagées pour le repos des oiseaux durant leur transit.

Dans l’un d’eux se trouvait un grand aigle gris dont les ailes repliées devaient atteindre plus de 3 mètres chacune. La tête rétractée, comme enfoncée dans l’épais duvet des plumes de son cou, le rapace semblait dormir. Loden s’avança encore jusqu'à se trouver tout proche du perchoir et parla doucement.

- Réveillez-vous DERELN. J’ai encore besoin de vos services...

L’aigle ouvrit un œil, fixa l’elfe quelques secondes, puis fit mine de se rendormir. S’ils n’étaient pas doués de la parole, les oiseaux géants n’en comprenaient pas moins le langage des Hommes. Certains avaient même appris de nombreuses autres langues. Cependant, ils avaient dû, pour communiquer, créer un système de code, un ensemble de signes très simples pour répondre « oui », « non », désigner l’heure ou certains lieux et surtout, pour le comptage de l’argent.

Cependant les elfes avaient toujours eu une certaine facilité pour communiquer avec les autres espèces vivantes et ils étaient capables, mieux que quiconque, d’entretenir une véritable conversation avec les grands aigles.

Loden eut donc vite fait de comprendre que l’oiseau qui l’avait amené ici le matin même comptait prendre un repos bien mérité au moins jusqu’au lendemain.

- Allons, ne faites pas l’aiglon, j’ai une mission très bien payée à exécuter dans les délais les plus brefs. Je dois me rendre à MENEZ BURT.Le rapace rouvrit l’œil, s’ébroua et tapota une vingtaine de fois sur le bois du perchoir, indiquant ainsi ses conditions de prix, puis s’installa à nouveau pour un somme. L’elfe, visiblement contrarié, s’appuya contre une des 4 grandes poutres soutenant la fine toiture du box et croisa les bras. A moins de 200 billes d’ambre, l’oiseau ne bougerait pas.

 - 150, et à condition que j’y sois avant demain midi.

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L’aigle s’agita à nouveau. Décidément, ces bestioles sont sacrement têtues pensa Loden. Il fit une nouvelle proposition.

- 150 plus une prime de 20 si j’arrive avant demain midi.

L’aigle attendit quelques secondes, comme plongé dans ses pensées puis se redressa de toute sa taille, déployant ses larges ailes en signe d’accord. LODEN se saisit alors d’une sellette rangée avec soin dans un angle du box, sangla l’animal, et s’installa sur son dos. Celui-ci fit demi tour et sortit en fendant la foule jusqu'à une piste d’envol.

Il poussa un cri rauque, s’élança dans le vide, fit quelques battements d’ailes pour prendre de la vitesse puis, utilisant un courant chaud, il prit  progressivement de l’altitude, se dérobant ainsi au regard des habitants de LIL-HALEPH.


Date de création : 25/05/2016 19:54
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